Petite Histoire du Manga

Petite Histoire du Manga
par Anabel









  
 
 







 
 

Bien souvent, on pense à tort que la BD au sens moderne du terme (avec des encadrés et des bulles) fut introduite au 19eme siècle avec l’ouverture du Japon aux cultures occidentales. Mais on trouve dans la longue tradition graphique nippone des modes d’expression annonçant le manga.
On peut ainsi faire remonter l’histoire du manga au 7eme siècle avec l’introduction de techniques de fabrication chinoise du papier, de l’encre et l’usage du pinceau ; mêlées à la notion dominante de l’art chinois de vides et de pleins dans le traitement de la mise en relief du paysage qui permit le large développement de dégradés de gris (repris par le tramage).



La première période fut marquée par des caricatures japonaises où les détails des visages humains ou faces animales étaient rapidement esquissés, exagérés jusque dans l’ornement des murs de temples bouddhiques (sans doute cadeau d’ouvriers lettrés). Mais le premier chef-d’œuvre des arts graphiques japonais date du 12eme siècle sous la forme de rouleaux dits EMAKIMONO, travail d’un prêtre du nom de Toba intitulé Chôjugiga (rouleau des animaux) et de portée satirique.
La technique du rouleau consistait en l’art de peindre des dessins disposés en séquence sur un long rouleau de papier. Les peintures que l’on déroulait au fur et à mesure, découvrant ainsi l’histoire peu à peu, relataient tour à tour des contes, des récits guerriers, des scènes de la vie quotidienne sur plusieurs mètres. Les premiers codes s’y trouvaient : chute de feuilles et floraison des cerisiers.
Ces rouleaux gagnèrent en qualité, s’attachant aux faits marquant de leur époque (EX : au cours de l’ère Kamakura 1192-1333, la guerre ravage le pays et les artistes traduisirent cela par l’illustration de monstres et de fantômes commettant les pires abominations).

Jusqu’au 19[sup]e[/sup] siècle, de nombreuses formes de récits graphiques et de aissèrent. Les ZENGA (images zen) se joignirent aux Emakimono mais tous étaient destinés au clergé et à l’aristocratie. D’autres formes artistiques furent donc créées pour le peuple : jusqu’à la moitié du 17[sup]e[/sup] siècle, les images produites dans la ville d’Otsu, près de Kyoto, furent très populaires même si elles se bornaient à des images pieuses servant d’amulette aux voyageurs.
Le grand renouvellement et le détachement de l’imagerie religieuse se développèrent grâce à la naissance d’une nouvelle technique, celle de l’Estampe.
Ere Edo (1603-1867), l’Estampe est un procédé d’impression en couleurs par l’intermédiaire de plaques de bois gravé enduites d’encre et de peinture. Ces images comblèrent les désirs de la bourgeoisie en quête de divertissement bon marché. Les estampes les plus célèbres sont les UKIYO-E (images du monde flottant) en référence à leur thème : hommes et femmes flânant dans le quartier de Yoshiwara. Leur qualité s’envolèrent avec leur diversité et cette forme d’art autrefois qualifiée de vulgaire séduisit l’élite jusqu’à nos plus célèbres impressionnistes (Claude Monet, Pissarro, Van Gogh). Dans ce style, les artistes que nous connaissons aujourd’hui le plus sont Hiroshige et Hokusai. Ce dernier fut d’ailleurs le premier à employer le mot « manga » pour définir un des ses recueils de caricatures (1814-1834).





Mais l’estampe permit aussi la création des premiers albums de BD : TOBA-E (images de Toba) et les KIBYÔSHI (livres à couvertures jaunes). Les histoires y étaient articulées sur une même page.
1853 : arrivée de la flotte du Commodore Perry dans le port de Yokohama et avec lui d’expatriés qui apportèrent la culture occidentale sur le continent isolé. Le dessin évolua grâce à l’héritage laissé par deux gaijin. Le premier était anglais, Charles Wirgman (1835-1891), il arriva comme correspondant pour le Illustrated London et resta au Japon jusqu’à sa mort. Il créa par la suite son propre magazine satirique, The Japan Punch (1862-1887) et devint un modèle pour les artistes locaux car il imageait avec humour les attitudes des occidentaux découvrant le Japon comme celles des japonais face aux nouveautés venues de l’Occident.
Le second était français, Georges Bigot, qui arriva en 1882, épousa une ancienne geisha et fonda en 1887 le magazine Tobae (titre hommage) publiant des dessins satiriques du gouvernement nippon (chose inimaginable pour les artistes japonais de l’époque !).
Ces deux hommes devinrent des mentors pour les artistes de leur époque et leur transmirent la maîtrise du dessin à l’européenne : perspective en BD, réalisme des anatomies, travail des textures, bulles…

Par la suite, le vrai fondateur de la BD japonaise, Kitazawa Rakuten (1876-1955), influencé par les illustrations des journaux US diffusés au Japon, lança le premier comic strip régulier de la presse japonaise, Tagosaku to Mokube no Tokyo Kembutsu (ou l’histoire de deux garçon en voyage vers Tokyo) et fonda en 1905 Tokyo Puck, le premier périodique satirique imprimé grand format et en couleurs. Son talent fut reconnu internationalement et inspira ses contemporains. Malheureusement, le gouvernement japonais ne l’entendait pas cette oreille et les arrestations avec tortures touchèrent bon nombre d’artistes à la plume trop caricaturale.
C’est pourtant à cette époque que naquirent la première BD pour enfants dans la presse populaire (1923) et les aventures de samouraïs en super héros. La réaction excessive du gouvernement s’explique dans la pensée véhiculée par les artistes et la presse d’alors, très prolétaire, influencée par le marxisme.

Fin des années 20 : le libéralisme recula car le gouvernement était aux mains de nationalistes qui promulguèrent des lois anti-libertés à l’encontre des journaux nationaux. Cette censure créa des récits politiquement corrects mais on observa l’apparition des premiers récits SF et le développement des mensuels jeunesse, prémices du système de prépublication (de nos jours, un manga ne sort en volumes reliés que s’il a remporté un certain succès en kiosque). Les catégories virent aussi le jour : shônen, shôjô, yonen (pour les petits).
La seconde guerre mondiale affirma le poids du gouvernement sur la presse et le dessin fut réservé à la propagande (anti-adversaires, militariste, identité nationale, meilleure image de l’impérialisme) visant la jeunesse.

Après la guerre, la BD japonaise était sinistrée par ce contrôle et les difficultés matérielles mais trouva des solutions avec le changement de régime. Les journaux satiriques pour adultes refleurirent comme les strips humoristiques et les magazines jeunesse se multiplièrent. Hélas, dans un premier temps, les japonais manquaient d’argent. Alors on inventa autre chose : un spectacle théâtral itinérant et gratuit basé sur une superposition d’images racontant un conte traditionnel et commenté par des conteurs. Ce procédé rencontra un tel succès que les artistes ne manquèrent pas de travail, ni les conteurs (plus de 10 000 conteurs avant arrivée de la TV). Certaines de ces histoires devinrent des mangas sous le pinceau de leurs premiers dessinateurs reconvertis pour l’édition. Des dizaines de petites maisons d’édition naquirent, publiant du manga à bon marché pour la même clientèle populaire.
C’est dans ce contexte qu’apparut Tezuka Osamu, un surdoué de 19 ans. Sa première œuvre, Shin-Takarajima (la nouvelle île au trésor) compila l’héritage graphique à des nouveautés inspirées de l’animation américaine : découpage de l’action, mise en page dérivée du story-board et du cinéma. Succès phénoménal : l’album de vendit à plus de 40 000 exemplaires. Tezuka autorisait avec sa technique le développement d’une histoire complexe inimaginable jusqu’alors, rendant obsolète tout ce qui avait été fait. Lorsque Tezuka se consacra aux éditeurs de la capitale, il participa à la qualité et la diffusion exclusive du manga (dans le mag Manga Shônen où parut Jungle Tatei, Le roi Léo). D’autres artistes se démarquèrent suivant ses traces (Fujio-Fujiko avec Doreamon ; Matsumoto Leiji avec Albator). Tezuka créa même un groupe d’artistes, Tokiwasô, qui régna sans partage sur la BD enfantine de son époque.

Les artistes de province, mis à l’écart de la grande diffusion, trouvèrent dans les librairies de prêt le moyen de s’exprimer. Ces lieux proposaient la location de mangas ou magazines contenant des histoires plus adultes, s’adressant aux ouvriers, aux jeunes adultes et aux lycéens. Ils remportèrent leur succès propre (150 000 lecteurs par mois dans ces librairies de prêt).
Fin des années 50, le succès du manga fut tel que les mags augmentèrent leur pagination. Mais c’était encore insuffisant : le niveau économique s’était relevé et la demande aussi. L’éditeur Kôdansha (existant depuis le début du siècle) lança une seconde révolution : le premier hebdo consacré au manga. Il fut aussitôt copié par sept concurrents. Les artistes ne pouvant passer si vite d’une création mensuelle à hebdomadaire, les postes d’assistants se multiplièrent.

Années 60 : les librairies de prêt perdant leur intérêt, ceux qui travaillaient pour leurs éditions se joignirent aux rangs des nouveaux hebdomadaires et apportèrent leurs thèmes plus adultes, relançant l’activité générale par l’arrivée de nouvelles tranches d’âge du lectorat (encore une impulsion née du l’instinct de maître Tezuka).
Pourtant, un manque demeurait : les BD pour filles. Au 19[sup]e[/sup] siècles, les filles avaient déjà leurs propres magazines (poèmes, mode, récits sentimentaux illustrés) mais il fallut attendre les années 20 pour voir la première BD pour filles et ses codes. Maître Tezuka, encore lui, dessina Ribon no kishi (Princesse Saphir), instituant les éléments propres au shôjô : histoire d’amour, décors européens, héroïnes aux grands yeux et l’identité sexuelle ambiguë. D’autres artistes s’y mirent mais c’étaient encore exclusivement des hommes. Fin des années 60, le premier vrai succès féminin dans la BD fut une œuvre pour filles : Bersaiyu no hana (La rose de Versailles ou Lady Oscar) de Ikeda Ryoko.



Le mouvement se confirma avec le célèbre Candy Candy de Mizuki Kyoko et Igarashi Yumiko (années 70). L’industrie du manga avait alors atteint sa configuration actuelle, comprenant une pléiade de magazines jeunesse pour tous les âges et où dominaient les plus anciens éditeurs (Kôdansha, Shûeisha et Shôgakukan se partagent 75% des ventes).
De nos jours, il existe près de 300 magazines BD au Japon (40% shônen, 42% adultes, 8% shôjo, reste pornographique et divers). Depuis 1995, les ventes baissent régulièrement, sans doute à cause du succès d’autres loisirs tels que les jeux vidéo mais aussi parce qu’en dehors d’une « patte » propre à chaque artiste, il n’y a plus eut de véritable innovation créative depuis les années 80.

Sachant qu’un récent sondage a révélé que la France était en 2008 le pays le plus grand consommateur de manga derrière le Japon, on peut penser que l’avenir du manga réside maintenant dans son internationalisation.

Sources: Saito Nobuhiro, Julien Bastide (Animeland).



 
Réagir sur le forum Revenir en haut