ELLROY James

ELLROY James
par ana









  
 
 







 
 




James Ellroy est le grand maître américain du polar noir ayant pour scène les années 50 et 60.

C’est un personnage incontestablement intéressant et inquiétant à la fois tant par la densité de son écriture que par la vision qu’il donne de l'Amérique et surtout du Los Angeles de son enfance. Il se plaît à encrasser cette ville comme autant de personnages qu’il y créé, à la malmener, la présenter telle une sorte de cité antique vouée à la colère non de Dieu mais des hommes qui s’y déchirent.

Ses fans comme le milieu littéraire américains l'ont surnommé "The Dog", référence à son écriture mordante et acide.



C’est le 4 mars 1948 que Lee Earle Ellroy voit le jour à l’hôpital du Bon Samaritain de Los Angeles. Son père, comptable, n’est déjà plus tout jeune (50 ans) et sa mère est infirmière. Lorsqu’il a 6 ans, ses parents divorcent et Lee vit avec sa mère. A 10 ans, il emménage avec elle dans un quartier populaire de la cité des anges, Del Monte. Ellroy reconnaît volontiers qu’il lisait déjà beaucoup d’histoires policières à cet âge, se décrivant même comme « vorace ».



On aurait donc pu imaginer que cette vocation et ce goût d’écrire lui-même des romans policiers lui viendrait de ses propres expériences de lecteur assidu, mais non. C’est un drame très intime qui va le plonger dans l’enfer du chagrin et des questions sans fin sur les secrètes et inexplicables motivations des meurtriers.

Le 22 juin 1958, sa mère Geneva Hilliker Ellroy, 43 ans, est retrouvée assassinée dans son propre quartier. Le jeune Lee rentre d’une journée passée chez son père pour découvrir une armada de policiers sur le pas de sa porte. L’assassin ne sera jamais arrêté.






Bien que confié à un père qui l’aime beaucoup, Lee est livré à lui-même de longues heures et sombre doucement dans la délinquance, commettant même des cambriolages. Au cours de ces années d’adolescence meurtrie, il fera la connaissance d’un de ses plus proches amis, Randy Rice auquel il a par la suite dédicacé un de ses livres (« Brown’s requiem »). Ensemble, ils font mille bêtises et partagent leur goût pour les romans noirs.

A 17 ans, Lee se fait renvoyer du lycée sans diplôme aucun. Il décide alors de s’engager dans l’armée (1965). Mais il en est encore à faire ses classes lorsque son père, déjà fragile, succombe d’une crise cardiaque. Ce choc pousse plus encore le jeune homme vers une descente aux enfers programmée. Sa nature révoltée née du meurtre de sa mère refait surface et il est réformé de l’armée. La vie civile lui fait retrouver son ami mais également connaître l’alcool et la drogue.



Pendant plus de 10 ans, Ellroy erre entre chambres d’hôtel miteuses et nuits sans abri, vivotant de petits jobs, dormant dans les parcs publics, entrant chez des gens plus pour se donner des frissons que pour voler des bricoles.



Cette existence décousue use son corps prématurément. En 1975, un abcès au poumon ajouté à une double pneumonie l’obligent à renoncer à l’alcool. Il prend des amphétamines pendant encore deux ans et arrête définitivement, comprenant enfin qu’il doit se prendre en main s’il veut s’en sortir et ne pas mourir comme une bête sauvage.

Ce déclic intervient en 1977. Il trouve un emploi régulier en tant que caddie dans un club de golf. Cet environnement nouveau l’inspire pour un premier écrit, « Brown’s requiem » qui séduit un éditeur et sort en 1981. Ellroy racontera qu’il l’a écrit « debout dans une chambre d’hôtel miteuse », porté par la musique classique, autre source d’inspiration de cette histoire. Il écrit ensuite « Clandestin » (1982), avec pour base le gangstérisme juif des années 30 et 40 mais ce livre ne sortira jamais. Pourtant, ses premiers agents, de Mysterious Press, aiment son style, d’autant plus exceptionnel qu’il reprend souvent les idées jetées sur le papier au cours de ses années d’errance sous l’emprise de ses addictions. Ils l’incitent donc à réécrire « American Death Trip », un roman délirant qui sera publié sous le titre de « Lune Sanglante » et signera son premier succès critique et public.

Ellroy commence dès lors une première série, les « Lloyd Hopkins », du nom de leur héros policier, et entame surtout une carrière littéraire solide et affirmée.

En 1986, Ellroy abandonne son personnage pour se pencher sur une histoire qui le hante presque autant que la mort de sa mère, celle de Dahlia Noir. Il craint que ce fait divers horrifique séduise un autre auteur et tient particulièrement à s’en inspirer pour une histoire aussi sombre que l’encre dont il en noircira les pages.



Mais avant cela, Lee devenu James Ellroy publie « Un tueur sur la route », roman dans lequel un tueur en série s’exprimant à la première personne parle de son quotidien de psychopathe. On peut être saisi par le naturel et l’aisance apparents avec lesquels Ellroy s’est glissé dans l’esprit malade d’un meurtrier à l’affût de tout et de tout le monde !



A noter que cette couverture reprend fidèlement une des photographies d'Elizabeth Short utilisée à l'époque par la presse.


Au départ, l’affaire du Dahlia Noir remonte à 1947, à une Amérique d’après guerre qui a besoin de penser à autre chose qu'à ses blessures, d'un peu de spectacle avec un soupçon de frisson. Le corps atrocement mutilé de cette jeune femme fait les manchettes des quotidiens de tout l’Etat de Californie et même au-delà. Le public et la presse se passionnent pour le cas irrésolu de la mort d’Elizabeth Short. Ce qui en fait une particularité aux yeux de tous c’est la manière odieuse avec laquelle elle fut torturée et mutilée. Son surnom lui aurait été donné de son vivant : cette jeune femme rêvant de devenir actrice aimait à se distinguer des autres en portant une fleur noir imitant le dahlia dans ses cheveux. Si la fascination morbide du public d'alors surprend par son mauvais goût, pour Ellroy, c’est différent. Après avoir découvert furtivement cette histoire dans « The Badge », un livre offert par son père quelques temps avant la disparition de sa mère, il s’y replonge et y voit un cas semblable à celui de sa mère, une femme pleine de rêves qui serait tombée sur le mauvais numéro, un soir de solitude. Mais surtout, ce crime non plus ne fut jamais élucidé. Passant de mains en mains, le dossier de ce meurtre n’a jamais été résolu.



C’est au travers de ce roman qu’Ellroy dévoilera son talent. Noir bien entendu, ce roman l’est, le sujet ne prêtant pas à autre chose, mais ce qui séduit le lecteur c’est l’alliance palpable que l’auteur a tissée entre l’aspect horrible du crime, la noirceur qui habite chacun de ses personnages, la motivation du possible assassin et la crasse absolue qui englue Los Angeles depuis ses caniveaux jusqu’aux esprits de ses politiciens et policiers corrompus. On ressent la ville telle une présence stagnante, un personnage à part entière, ayant une emprise continue sur tout ce qui touche à l’histoire. Même pour un européen qui n’a jamais visité les Etats-Unis ou la cité des anges, c’est un voyage au travers de mots et de lignes choisis qui lui fait perdre conscience de la réalité pour le plonger dans une époque, un lieu absolument différents et diaboliquement pénétrants.

Bien que partant de la mort tragique de cette jeune femme, Ellroy développe une intrigue originale qui n’a rien à voir avec les pistes explorées à l’époque par la police et suggère sa version des faits, romancée mais crédible…


Extraits choisis par le site EVENE.FR :


La première phrase
Vivante, je ne l'ai jamais connue, des choses de sa vie je n'ai rien partagé.

La phrase à retenir
Cherchez la femme, Bucky. Souviens toi de ça !

Morceau choisi
C'était une jeune fille dont le corps nu et mutilé avait été sectionné
en deux au niveau de la taille. La moitié inférieure gisait dans les
mauvaises herbes à quelques mètres du haut, jambes grandes ouvertes. Sur
la cuisse gauche, on avait découpé une large portion de chair et, de la
taille tranchée au sommet de la toison pubienne, courait une entaille
longue et béante. Les deux lèvres de peau étaient retroussées : il ne
restait rien dans la plaie. La moitié supérieure
était pire : les seins étaient parsemés de brûlures de cigarettes,
celui de droite pendait, rattaché au torse par quelques lambeaux de peau
; celui de gauche était lacéré autour du téton. Les coupures
s'enfonçaient jusqu'à l'os, mais le plus atroce de tout c'était le
visage de la fille.

- chapitre : 7 - page : 109 - éditeur : Rivages - date d'édition : 2001 -

Morceau choisi
C'était l'aube. Je sortis sur le perron et ramassai l'édition du matin. Au-dessus d'un portrait d'Elizabeth Short, au beau milieu de la page, le titre du jour était : 'Le meurtre sadique : on recherche les petits amis'. Le portrait portait en légende : 'Le Dahlia Noir' suivi de : 'La police enquête aujourd'hui
sur la vie amoureuse d'Elizabeth Short, 22 ans, victime du loup-garou
sadique dont les aventures avaient transformé selon des amis une innocente jeune fille en délinquante folle de son corps, toujours vêtu de noir, et répondant au surnom de Dahlia Noir. Je sentis Kay à mes côtés. Elle se saisit du journal et passa rapidement la première page en revue. Elle frissonna. En me le rendant, elle demanda : 'Est-ce que tout cela sera bientôt fini ?'

- chapitre : 8 - page : 141 - éditeur : Rivages - date d'édition : 2001 -

S’ensuivent 3 autres romans ayant le même cadre historique et physique (Los Angeles, années 1940 et 1950) et la corruption qui touche jusqu'au cœur de la machine judiciaire locale : L. A. Confidential, Le Grand Nulle Part, White Jazz.



Certains de ses personnages sont inspirés de vraies légendes de l’époque (mafia et police) et reviennent d’un livre sur l’autre (Jack Vincennes lui a été inspiré de l’auteur de « The Badge », Jack Webb, un flic droit ; Dudley L. Smith était déjà présent dans « Clandestin » et revient dans « L.A. Confidential »).





L’obsession que James Ellroy nourrit pour le meurtre de sa mère lui suggère de faire sa propre enquête et d’en faire un livre. « Ma part d’ombre » retrace les éléments de la vie de Geneva Ellroy qui auraient pu influencer son destin tragique. Cette enquête à titre personnel est pour lui l’occasion de redécouvrir cette femme qui le hante, de se réconcilier en quelque sorte avec elle et lui-même. Malgré le concours de Bill Stoner, policer en retraite, James Ellroy ne trouvera aucune piste significative.



Depuis 1995, il travaille sur une nouvelle série qui traite de l’histoire même de l’Amérique depuis 1958 jusqu’à 1972 et la chute de Richard Nixon. Ellroy y aborde avec une précision documentée et documentaire mais toujours vibrante l’assassinat de JFK, la création du FBI, de la CIA, les bavures, le Ku-Klux-Klan, les crises politiques, les complots supposés, les liens entre le pouvoir et la mafia… Il choisit ses thèmes (l’affaire du Watergate est passé sous silence car elle ne l’intéresse pas…), reprend de grands noms, grands et petits (Pete Bondurant, le dealer du milliardaire Howard Hugues) de cette historie qui le passionne, les mêle à des personnages fictifs et il nous dépeint avec art les faces cachées de son pays. On apprécie la fluidité d'une écriture qui évolue encore et s'adapte à ce ce nouveau genre.



Ses histoires ont souvent séduit le cinéma et ont heureusement bénéficié de justes adaptations comme « L.A. Confidential » et « Le Dahlia Noir ». James Ellroy ayant accepté les projets, il a laissé libres les réalisateurs et leurs scénaristes, jugeant les films une fois achevés comme tout spectateur lambda.








L’écriture d’Ellroy se situant dans un cadre historique particulier, il se borne à ne vivre qu’en ermite pour éviter toute pollution de son esprit par les péripéties du monde contemporain : écrivant à la main, il n’a pas de familiarité avec Internet et son monde de l’information universelle. Il a fui ses démons et la ville de son enfance pour New York et Kansas City. Pourtant, en 2006, il s’y est réinstallé et poursuit une carrière brillante qui lui a offert la plus belle des revanches.







Bibliographie sélective :



_ Brown’s requiem (1981)
_ Clandestin (1982)
_ Lune Sangante (1984) - Trilogie Llyod Hopkins, 1
_ Au coeur de la nuit (1984) - Trilogie Lloyd Hpkins, 2
_ La colline aux suicidés (1986) - Trilogie Lloyd Hopkins, 3
_ Un tueur sur la route (1986)
_ Dalhia Noir (1987)
_ Le grand Nulle part (1988)
_ L.A. Confidential (1990)



_ White Jazz (1992)



_ American Tabloid (1995)
_ Ma part d'ombre (1996)
_ American Death Trip (2001)
_ La malédiction Hilliker (2010)
_ Underworld USA (2010) (article critique ici)



Interview intéressante ici



Il a également travaillé comme scénariste sur les films Dark Blue (2003 - de Ron Shelton avec Kurt Russel et Ving Rhames)) et Au bout de la nuit (2008 - de David Ayer avec Keanu Reeves, Forest Withaker, Hugh Laurie)

Sources : Wikipedia, Evene.fr, éditions Rivages.


 
Réagir sur le forum Revenir en haut